Pawel ...

Depuis quelques jours j'ai la chance de pouvoir partager mon temps avec un être du silence, un ange ...

Il est grand, blond aux yeux verts, beau et jeune. Parfois, il m'offre un sourire, rien qu'un moi, suivi d'un regard profond mais furtif, un peu gêné et effrayé. Il ne parle pas, pas besoin, il sait me faire comprendre ce qu'il veut en guidant ma main avec la sienne. Comme si j'étais aveugle face à son monde à lui. Ce qui est d'ailleurs le cas.

Il est calme la plupart du temps, quand il souffre il ne s'en prend qu'à lui, jamais à nous.

Il est souvent ailleurs, proche de nous mais enfermé dans une bulle de pensées et de visions obscures pour nous. Perdu dans les méandres de ses angoisses, de son anxiété perpétuelle qui le suivent depuis bien avant sa naissance, du à sa peur de vivre.

Il porte le doux nom de Pawel et comprend cette langue calme et discrète, enroulée et chaude qu'est le polonais. Un peu compliquée aussi. Il comprend aussi parfaitement le français, et quelques mots d'anglais.

Il ne demande rien à personne, n'ennuie personne non plus, tente de vivre sa vie comme il le peut, coincée dans toutes les obligations qu'il se crée, afin de se rassurer face à ce monde agité qu'il ne comprend pas, fait de sentiments, d'émotions ingérables. Fixer une ficelle qui se balance toujours de la même façon permet d'éviter de laisser son regard s'étendre à l'infini, et de se perdre face à des images qui procurent un million de sensations différentes et surprenantes quand on ne sait pas les vivre. La peur de du vide, de l'infini ...

Se balancer quand il est heureux, énervé, lui permet aussi de gérer ce qu'il ressent: le balancement est régulier lui au moins ...

Mes heures passées avec lui sont riches de tellement de choses invisibles, impossible à voir et à ressentir vu de l'extérieur.

Voilà ce que doivent voir les gens: une jeune fille assez petite, souriante, le regard toujours planté sur le grand  et très mince blond qui marche étrangement, et court parfois. De temps en temps, elle le prend par l'arrière du T Shirt, où ils s'arrêtent pour faire, durant de longues minutes, ... des bulles par centaines ...! Elles volent et virevoltent dans les airs, se posent sur l'herbe, sur nous, sur l'eau du lac et nous emmènent avec elles dans une danse rassurante et lointaine sur le chemin des libertés.

Puis, elles disparaissent et on recommance, car elles sont toujours là dans le petit pot.

Puis, on se lève tous les deux, côte à côte, on admire les feuilles, les fleurs et l'herbe verte, et je laisse Pawel en ceuillir un peu puis les lacher dans l'eau. De temps en temps, il s'arrête pour regarder derière lui, ou loin devant. Je me tourne alors vers ce qu'il regarde et durant un temps je vais de ses yeux à l'horizon qu'il fixe et, parfois je trouve l'objet de son attention ... le vent souvent ...Pawel aime le vent et sait s'arrêter pour en profiter et pour le savourer. Je dois réapprendre cela avec lui et c'est plutôt bon. Cela peut être aussi le son des voitures qui passent non loin de nous, ou l'onde provoquée par quelque chose que l'on aurait jeté dans l'eau, et qui se propage.

Et d'autres choses encore que je ne sais plus voir...

Quand je marche avec lui c'est comme si tout mes sens était en éveil: je sens la terre mieux que jamais, les arbres, le vent, le ciel, les nuages, ce que Pawel aime ou pas, ce qui l'interresse, ce qu'il va faire selon notre environnement ...

Pawel fait partie de ces personnes atterries, là, sur notre planète, dans notre monde, comme par erreur ... Grâce à leur façon d'appréender la vie qui les entoure, ils nous permettent de toujours faire sortir le meilleur de nous même. Jamais je n'ai été aussi attentionnée envers quelqu'un qu'avec lui: chaque secondes que je passe avec lui, lui sont dédiées. Ses battements de paupières, son souffle qui change souvent de rythme, ses regards insaisissables, ses peurs ... je suis à l'affut de tout, je n'ai pas un moment pour moi. je scrute son visage à n'en plus finir, quand ce n'est pas l'horizon qu'il fixe où le bout de sa chaussure.

Ce n'est pas toujours facile de faire cela durant toute une journée, dans le silence que seuls les bruits guturaux de Pawel perturbent. Mais c'est tout de même fascinant de me laisser entrer dans son monde. Pawel n'acceptant pas tout le monde à ses côtés.

Pourquoi un ange ? Comment qualifier une personne qui ne peut faire ressortir de vous que le meilleur ? Qui a un  besoin vital de de ça pour avancer. Et tout ça me vient facilement, comme par logique. Marcher à ses côtés est presque magique, presque un rêve.

Une dame m'a demandé ce qu'il avait: il est autiste ...à 80% madame.

Mais, vous paraissez si calme, et posée ...

Oui, je l'étais. Pawel savourait ce moment de liberté, face à des canards et sous des bulles qui s'étendaient par millier au dessus de nous. Une pluie de bulles ...: il ne pleuvait ps, il ne neigeait pas ...il bullait hier après midi vers le canal de Montargis !

Et tous les gens qui passaient sous ses bulles esquissaient des sourires en tendant les mains, les enfants paraissaient étonnés, les chiens aussi ... Et Pawel trempait son petit baton jaune dans le petit pot transparent, et me le tendait, bien devant ma bouche en souriant pour que je souffle. Et les bulles brillaient sous le soleil, se parant de leurs plus belles couleurs. Pour Pawel ...